La jeune louve erre dans la forêt, ses pattes grises et blanches sont meurtries par le gravier de ce sentier abrupt, son poil blanc se recouvre progressivement de poussière et de sable. Elle marche lentement, réflechissant aux actes qui lui ont valu son bannisement, la perte de son habitat comme celle de son honneur.
Elle a osé résister aux ordres de Prota, le loup dominant de sa meute, quelque chose qu’aucun loups des Collines Noires n’auraient osé avant.
Bannie.
A présent elle est réellement seule. Elle porte bien son nom : Solitaire.
Le soleil, à l’horizon, disparait pour laisser place à la Lune.
Bientôt, Solitaire entendra les hurlements propres à ceux de sa meute et pour la première fois, elle n’y participera pas.
Yesha avancait en titubant, s’appuyant contre les branches des arbres pour continuer d’avancer. Sa jambe lui faisait mal, le sang coulait en abondance de sa cuisse, c’était la première fois depuis longtemps qu’elle ressentait une telle douleur.
Elle s’arrêta et prit appui contre un arbre au branche touffu, elle se laissa glisser jusqu’au sol et étendit sa jambe meurtrie, puis elle déchira un bout de sa manche pour tenter de stopper le flot de sang qui en jaillisait.
La douleur en devenait presque insupportable et Yesha commencait à regretter de ne pas avoir mieux écouté son maître quand celui-ci lui expliquait comment s’occuper des blessures lorsqu’on est en manque de matériel.
Yesha rejeta les mèches auburn qui lui tombaient devant les yeux et fabriqua un garot avec son morceau de manche.
Après quoi elle pencha sa tête en arrière, ses yeux lui semblaient lourds. Elle marchait comma ça depuis au moins trois longues heures et la fatigue la gagnait progressivement.
Fermer les yeux... C’etait aussi facile que ça, il suffisait de fermer les yeux pour que tout disparaisse, pour s’échapper dans les rêves et pour que tout soit meilleurs... Mais pas tout le temps, le subconscient est aussi peuplé de monstres, comme dans la réalité.
Mais faire des cauchemars, cela importait peu à Yesha en ce moment, tout ce qu’elle désirait était de ne plus sentir cette douleur, de l’oublier. Elle posa sa tête sur ses épaules et ferma les yeux.
Quand elle rouvrit les yeux, elle remarqua qu’elle était envelopée dans des draps blancs ornés de motifs bleus. Mais au lieu de s’interroger sur le lieu où elle se trouvait, son premier geste fut de regarder sa blessure. La jeune fille rejeta violement les draps derrière elle et se pencha sur sa jambe droite. Pansée. Sa blessure avait été pansée, par qui ? Où ?
Soudain, une voix cristalline rompit le silence :
- Tu es enfin réveillée, cela faisait presque 3 jours que tu dormais, je commencais à m’inquéter.
Yesha resta sans voix, elle n’avait même pas remarqué la jeune fille aux cheveux d’un blond presque blanc et aux yeux d’un violet magnétique, qui était assise près de la porte.
- Je... J’étais, bredouilla Yesha, j’étais dans la forêt et...
- Tu étais blessée, je sais, c’est moi qui t'ai trouvée, et c’est aussi moi qui me suis occupée de ta blessure.
- Seule ?
- Oui, mais dis-moi, comment t’es-tu fait ça ?
De la manière dont elle c’était fait cette blessure, Yesha n’en avait pa la moindre idée, tout était allé si vite.
- Je ne sais pas, répondit Yesha pensivement.
- Au fait, avec tout ça, j’ai oublié de me présenter : je m’appelle Lyssa et toi ? fit la belle jeune fille en plantant ses yeux dans ceux de Yesha.
- Yesha.
- Yesha ? C’est beau, ça veut dire Fleur, en ancien langage, repris Lyssa en souriant.
- Sauf que je n’ai rien d’une fleur, répondit Yesha en baissant les yeux.
Sentant la tension entre les deux jeunes filles s’alourdir, Lyssa tendit à sa «patiente» une assiette de viande et des couverts :
- Tiens, il faut que tu manges, j’imagine que tu dois avoir faim.
Yesha hocha la tête, c’est vrai que la faim commenceit à ce faire sentir, elle prit l’assiette entre ses mains et commença à manger.
Une fois que Yesha eut fini, Lyssa lui expliqua que le maître de maison, un certain Gaarydh Saron, souhaitait lui parler.
Elle l'aida à se relever car Lyssa ne disposait pas de béquille et elles sortirent de la chambre bras-dessus bras-dessous pour traverser un long couloir aux rares fenêtres.
- Où sommes-nous, demanda Yesha après avoir longuement observé le couloir sans y repérer âme qui vive, pourquoi il n'y a personne ?
- On peut considérer ce lieu comme une sorte d'académie, on y pratique la magie mais aussi à manier les armes. Mais on se cache ici, fit Lyssa en devinant la prochaine question de la jeune fille, car les habitants de la ville portuaire d' Afiss ne portent pas vraiment la magie dans leurs coeurs.
Yesha fit un signe de tête pour montrer qu'elle comprenait. Vivre caché était dûr, et elle le comprenait plus que tout.
Après quelques minutes de silence Lyssa lâcha Yesha délicatement et se dirigea vers une porte, qui se trouvait face à elles. Yesha grimaça quand sa jambe toucha le sol. La jeune fille au cheveux blanc ouvrit doucement la porte et elle découvrit une fille brune qui se tenait vers le centre de la pièce, face à elle se tenait, à plus de cent mètres, un mannequin de bois qui devait servir de cible. La fille tenait dans sa main un arc et était prête à tirer, elle semblait ne faire plus qu'un avec son arme quand elle se décida à décocher sa flèche, elle ferma les yeux et décocha le projéctile qui traversa sans mal le mannequin de bois et alla se figer dans le mur de pierre.
-C'est Katrina, expliqua Lyssa, elle est aussi à l'aise avec un arc qu'avec des couteau à lancer, elle aussi très bagarreuse, alors fait attention à ce que tu dis.
Lyssa lui adressa un sourire puis appella Katrina qui les rejoignit en courant.
- Lyssa ! Dit- elle en étraignant son amie, ça faisait longtemps !
- J'oubliais ! S'exclama Lyssa, Katrina je te présente Yesha.
Elle fit signe à celle-ci de se raprocher.
- Enchantée ! Claironna Katrina en lui tendant sa main libre.
- Moi de même, répondit Yesha en serrant sa main avec hésitation.
Elle fut troublée de voir l'expression gaie de Katrina s'assombrire quand elle lui serra la main, comme si elle avait espéré y trouver quelque chose.
- Bon, nous devons y aller, il faut qu'elle aille voir Maître Gaarydh. Lâcha Lyssa au bout de quelques minutes.
Katrina reprit son expression gaie et dit :
- Oui, vous allez en retard sinon-elle adressa un sourire niais a Yesha- et puis je dois aller retrouver Thalya.
-Alors on se revoit ce soir, s'enquit la jeune fille.
Katrina acquiessa avec un hochement de tête puis Lyssa referma la porte et Yesha et elle poursuivirent leur chemin bras-dessus bras-dessous.
Pendant qu'elles traversaient les grands couloirs de pierre aux tapisseries rouges, Yesha réfléchit à l'attitude étrange qu'avait Katrina en lui serrant la main quand Lyssa s'arrêta devant une grande porte :
- Voilà, c'est ici, je vais te laisser avec lui, il a précisé qu'il voulait te parler seule à seul.
elle lâcha encore une fois Yesha et fit demi- tour.
Quand il ne resta plus qu'elle, la porte imposante s'ouvrit.
Gaarydh Saron était un homme étrange, il avait des cheveux gris, en bataille, ce qui lui donnait l’air d’un fou, alors qu’il était à peine âgé de trente-cinq ans. Son œil gauche était doré alors que celui de droite était bleu. Saron était un magicien puissant mais le Conseil de la magie ne lui accordait pas grande confiance à cause de ses origines. Il avait lui-même créé son académie, ouverte à tous ceux qui désiraient apprendre ou enseigner son art. Au départ, Saron l’avait ouverte dans la ville portuaire d’Afiss, mais les habitants, superstitieux, l’avait brulée et le jeune maître ambitieux dû fuir la ville et s’installer plus loin, dans un ancien manoir abandonné. Pendant trois longues années il s’occupa uniquement de rénover ce manoir, qui tombait en ruine. A la fin, quand l’académie fut enfin achevée, il rencontra son tout premier élève : un enfant de treize ans qui se nommait Gallian, et qui se révéla posséder un grand pouvoir.
Dix années passèrent et un matin, il reçut une lettre d’un de ses vieux amis, qui l’avait fait connaître auprès des autres contrées (chez lesquelles il était désormais le bienvenu), lui expliquant qu’il lui envoyait son apprentie car il sentait qu’elle n’était plus en sécurité, qu’il était las, se sentait fatigué et vieux et qu’il ne serait probablement pas avec elle.
Il avait attentivement lu les dernières lignes :
C’est à toi que je confie son apprentissage, c’est à toi de prendre la relève et je sais que tu seras à la hauteur, après tous, je t’ai toujours fait confiance et il n’y a pas de raisons pour que ça ait changé.
Veille à ce que Yesha aille bien, et à ce qu'ils ne la retrouvent pas. Je serai probablement mort quand elle arrivera.
Bonne chance.
Avec amitié,
Gyl.
-Entre, lâcha Gaarydh en voyant la jeune fille qui restait immobile sur le seuil, et assieds-toi.
Yesha traversa la pièce dont les murs étaient tapissés de bibliothèques et s’assit sur le siège, devant le bureau de Gaarydh, et face à celui-ci.
-Pourquoi m’avez vous fait venir ? Demanda Yesha, un peu agressive.
A sa surprise, le maître se mit à rire discrètement :
-Tu vas droit au but toi !
Yesha haussa les épaules, cela l’importait peu, tout ce qu’elle voulait, c’était une réponse.
Gaarydh retrouva son sérieux et reprit :
-Juste te prévenir que c’était moi qui reprenais ton apprentissage…
Yesha lâcha un soupir d’agacement.
-Parce que c’est ce que m’a demandé Gyl, continua-t-il.
A l’évocation de ce nom Yesha se redressa sur son siège :
-Gyl ? Mais comment le…
-C’était l’un de mes amis, le plus vieux et le plus important qui soit à mes yeux aussi. Expliqua le magicien.
"-Et maintenant, il est…
Yesha n’arriva pas à finir sa phrase car sa gorge se nouait et les larmes lui montaient aux yeux
-...Mort, termina-t-elle d’une voix presque inaudible.
-Mais nous aurons beau nous dire qu’on aurait pu empêcher ça, l’un comme l’autre, nul ne peut s’opposer à la mort et lorsqu’elle décide de prendre une vie, elle finit bien par la prendre un jour ou l’autre, et tu auras beau te tenir responsable de ce qui est arrivé, te dire que tu aurais dû faire telle chose, ça ne changera rien au fait qu’il est parti, c’est comme ça et pas autrement. Et tu dois l’accepter, même si c’est dur.
Yesha essuya ses larmes du bout des doigts, il avait raison, il était tant qu’elle accepte, mais elle ne pouvait pas, elle ne voulait pas.